Street Art ou Art de Rue – épisode 2

Je vous propose de démarrer la seconde partie de cette présentation de l’art de rue à Montréal (street art pour les intimes) par quelques images triviales, mais qui ont le mérite grâce à des artistes anonymes, à des graffeurs inspirés, d’égayer rues et cours de la ville.

Art de rue, art des cours

Ainsi, certaines sites urbains, jardins comme cours ou façades d’immeubles sont « occupés » par des dessins en général gais, qui semblent réalisés au gré des inspiration des habitants, un moyen d’expression personnelle, collective parfois. Un exemple avec cette cour, rue Saint Dominique :

Montreal-2022-34290 Art de rue art de cour
Art de rue, art de cour

On peut, sans en faire un grand éloge, remarquer l’homogénéité de la palette de couleurs. Même la poubelle s’intègre dans ce coin de paysage urbain…

Une autre illustration de cet art de rue, art de cour : un escalier d’immeuble du Plateau, dans une rue toute proche, qui a un caractère nettement plus tonique. Illustration représentative de dizaines d’autres aperçues au hasard de nos balades dans Montréal :

Mais est-ce du street art ou du graff ? A chacun de se faire son idée. En tout cas, ce type de composition compliquée se retrouve sur de nombreux murs, même dans l’hyper centre, comme celle reproduite ci-dessous. L’art de rue tendance art moderne (Basquiat ?), ou pop art, ou BD délirante ou… ?

Un dernier regard sur une cour bien dégagée. C’est l’occasion d’acérer notre regard pour mieux examiner des œuvres plus « sérieuses » (?).

Art de rue et engagement social et politique

De la même manière que sont engagés certains artistes cités dans ce site à l’occasion de l’exposition Hyperréalisme, ceci n’est pas un corps, bon nombre de murales découvertes au fil des pérégrinations dans Montréal ont des intentions militantes.

Commençons par une œuvre de Denial, Black Lives Matter, découverte dans un parking au centre d’un block.

Denial-PR2-35192 Joseph Daniel Bombardier dit "Denial" : Black lives matter
Joseph Daniel Bombardier dit « Denial » : Black lives matter

Œuvre à lire bien sûr en relation avec le meurtre de George Floyd… Notons aussi que tous n’ont pas le respect de l’œuvre. Quoi de mieux que cette murale pour immortaliser sur une si belle et émouvante toile de fond sa splendide voiture : black cars matter !

Denial-34410 Black cars matter
Une si belle voiture… Black cars matter

Autres larmes, celles que fait verser D*Face, encore une fois sur un mur aveugle donnant sur un parking.

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D*Face : Looking back

Explications : « intitulée « Looking Back », cette murale de D*Face reflète la fascination de l’artiste pour la publicité et sa nostalgie de l’époque des signalétiques peintes à la main. Il a ainsi mélangé le côté Pop Art caractéristique de son style avec des lettrages faisant référence à son histoire familiale. Le texte que l’on peut en partie apercevoir en toile de fond se rapporte à l’immigration de ses ancêtres ayant quitté Montréal vers 1915« .

Encore une peinture militante : celle du chilien INTI, qui énonce dans une murale étonnante par son aspect fantastique que la soif de l’or nous laissera sans eau : “La Sed del Oro Nos Dejara Sin Agua”. Une pièce d’art de rue prémonitoire car elle date de 2014 ; elle a été imaginée lors de la lutte de différentes communautés contre un projet de méga-mine qui devait s’implanter dans la province de Huasco (région d’Atacama, projet Pascua Lama). Elle trouve aujourd’hui hors de son contexte d’origine une résonance particulière. L’eau vaut bien plus cher que le pétrole ! Pour l’humanité en tout cas, peut-être n’en est-il pas ainsi pour le capital.

Inti-35194 - Art de rue - La soif de l'or nous laissera sans eau
INTI – La soif de l’or nous laissera sans eau

Toute revendication murale n’est pas nécessairement artistiquement léchée, soignée, et certaines pour ne pas être signées n’en sont pas moins fortes. C’est l’exemple de celle-ci, dont on peut penser qu’il s’agit de la ré-appropriation d’une ancienne peinture pour une cause très politique : la disparition de femmes autochtones, phénomène dont se préoccupe le gouvernement canadien depuis le début des années 2000.

Combat pour les femmes autochtones disparues au Canada

L’art de rue : conclusion poétique et provisoire

Je terminerai cette sélection de murales par une peinture de Seth, artiste français dont le sujet est souvent lié à l’enfance.

Seth-34300-année 2013 - Murale de Montreal : Sans titre
Seth – Murale de Montréal sans titre

Enfonçons-nous dans l’arc en ciel. En espérant que de l’autre côté la lumière soit plus belle et la chaleur plus douce…

Fin de l’épisode canadien, il resterait beaucoup à publier car notre festin a été bien copieux, mais n’allons pas jusqu’à l’indigestion. C’est le moment pour nous de faire une sélection de tirages papier, on rêve mieux devant un beau tableau que devant un écran. N’hésitez pas à nous mettre un mot si vous souhaiter en profiter.

Hyperréalisme, chapitre 2

Le premier chapitre autour de l’exposition Hyperréalisme 2023 au Musée Maillol s’est arrêtée à la quatrième section, telle que proposée par le commissariat de cet événement. Il en reste deux, Réalités difformes et Frontières mouvantes. Avançons dans l’ordre des salles…

Réalités difformes (mais est-ce bien de l’hyperréalisme ?)

Une première œuvre, réalisée par Evan Penny, nous laisse penser que cette partie de l’exposition sera sereine. Troublante, mais sereine.

Et pourtant, ses personnages déformés sont bien dérangeants ! Car selon l’angle selon lequel on les examine, ils apparaissent écrasés, ou étirés, minces ou épais… Leur « volume » nous porte à croire qu’ils ne possèdent que deux dimensions, ce qui met en lumière l’influence profonde des médias numériques et la manipulation des images. C’est une démonstration de notre perception trompeuse de la réalité, et de notre relation ambivalente aux images virtuelles.

Hyperrealisme-Paris-2023-065 Evan Penny Self Stretch
Evan Penny : Self Stretch

Les œuvres d’Evan Penny sont connues pour leur perfection épidermique à l’exactitude presque exagérée. Celle-ci ne déroge pas à cette notion.

Autres déformations, celles que le même Evan Penny fait subir à un visage féminin au départ ordinaire.

En cela, il témoigne de l’altération de l’identité induite, ou tout au moins intensifiée, par les progrès vertigineux de la vie moderne et de ses images.. Lorsque dans les années 1960 l’art emprunte un virage vers le réalisme et la culture populaire, le mouvement débridé et hétéroclite du Pop Art a initié une critique politique et sociale que l’hyperréalisme poursuit aujourd’hui.

Hyperrealisme-Paris-2023-076 - Evan Penny : Panagiota, Conversation #1, Variation 2
Evan Penny – Panagiota : Conversation #1, Variation 2

Dans cette veine, continuons notre visite, et saisissons l’éclosion d’un idéal féminin bien américain, avec la sculpture Chiquita Banana de Mel Ramos… Jailllissement équivoque… A l’instar des autres œuvres de cet artiste, satires des images banales de l’univers publicitaire, cette représentation transforme en accessoire publicitaire le corps érotisé d’une pin-up surgissant d’un produit bien commercial.

N’oublions pas, en considérant la marque Chiquita Banana, que celle-ci est une émanation de la United Fruit Company, symbole de l’impérialisme américain (l’UFC que l’on trouve à l’origine du concept de « république bananière »). L’ironie est ici double, du statut de la femme objet et de la domination américaine sur le sous continent sud américain. Démonstration que l’hyperréalisme peut être un instrument de dénonciation d’une société capitaliste scandaleuse, sans limites.

Hyperrealisme-Paris-2023-073 Mel Ramos : Chiquita Banana
Mel Ramos : Chiquita Banana

Faisons un pas de plus vers l’étrange pour nous intéresser au travail de Tony Mattelli, qui se caractérise par une transposition techniquement parfaite du réel, contredite par un positionnement, une posture qui intriguent, qui dérangent. L’hyperréalisme s’égare vers l’étrange en une contradiction savamment mise en scène.

Hyperrealisme-Paris-2023-083 Tony Matelli : Josh
Tony Matelli : Josh

Encore plus dérangeante est l’œuvre de Berlinde de Bruyckere exposée au Musée Maillol, Elie. La mort et la fugacité inéluctable de nos vies constituent une thématique centrale de son travail. Le corps blessé et torturé présente à la fois des zones clairement définies, exécutées avec une précision chirurgicale, conformément aux canons de l’hyperréalisme, mais aussi des zones qui se fondent dans le flou, l’abstraction. On pourrait y trouver une inspiration chrétienne, pour traiter ainsi de manière douloureuse de la vie, de l’espoir, de la souffrance et de la mort.

Hyperrealisme-Paris-2023-058 Berlinde de Bruyckere : Elie
Berlinde de Bruyckere : Elie

Je me suis senti mal à l’aise devant cette sculpture, qui a généré en mon esprit un sentiment d’angoisse. Pourquoi cet homme au sexe informe n’a-t-il pas de tête ? Pourquoi cette transparence de la peau, quasi-anatomique ? Et que signifient ces taches, sur ce support qui ressemble à un édredon ? Questions sans réponses…

La visite continue par un nouveau dérangement fort, dans cette pénultième section. Une sculpture doublement monstrueuse de Patricia Piccinini… Une créature à première vue humaine, qui lorsqu’on l’examine d’un peu moins loin ressemble à une mutation inquiétante et nous fait basculer dans la tératologie… Inquiétude devant cette hybridation accentuée encore par la présence dans les bras de cette « jeune femme » d’un rejeton phénoménal, difforme, aberrant et grotesque, dont on se demande s’il est adapté à la vie, qu’elle soit animale, humaine, extraordinaire.

Hyperrealisme-Paris-2023-071 Patricia Piccinini : The comforter
Patricia Piccinini : The comforter

Dernière section, Frontières mouvantes

Ouf…

Il faut un petit moment pour digérer tout cela avant d’attaquer la dernière section, disparate et que j’ai trouvé un peu superficielle. J’ai notamment été gêné par le son des installations, surtout celle de Glazer/Kunz, qui relèvent plus de la prouesse multimédia que de l’inspiration artistique. Avis très personnel, bien sûr.

Aussi je terminerai cette visite consacrée à l’hyperréalisme par une œuvre plus tranquille, dont l’aspect bien humain rassure et conforte. Dernière étape avant de retrouver le bon air bien frais et les particules fines des rues de Paris….

Hyperrealisme-Paris-2023-081- Ann O'Neem : Persona
Ann O’Neem : Persona

Je suis plus intéressé par le classicisme en matière artistique. Mais cette fois j’ai pris une vraie claque et suis ressorti à la fois troublé et enthousiasmé de cette exposition, qui j’espère voyagera de nouveau en France ou ailleurs en Europe.