Hyperréalisme, chapitre 2

Le premier chapitre autour de l’exposition Hyperréalisme 2023 au Musée Maillol s’est arrêtée à la quatrième section, telle que proposée par le commissariat de cet événement. Il en reste deux, Réalités difformes et Frontières mouvantes. Avançons dans l’ordre des salles…

Réalités difformes (mais est-ce bien de l’hyperréalisme ?)

Une première œuvre, réalisée par Evan Penny, nous laisse penser que cette partie de l’exposition sera sereine. Troublante, mais sereine.

Et pourtant, ses personnages déformés sont bien dérangeants ! Car selon l’angle selon lequel on les examine, ils apparaissent écrasés, ou étirés, minces ou épais… Leur « volume » nous porte à croire qu’ils ne possèdent que deux dimensions, ce qui met en lumière l’influence profonde des médias numériques et la manipulation des images. C’est une démonstration de notre perception trompeuse de la réalité, et de notre relation ambivalente aux images virtuelles.

Hyperrealisme-Paris-2023-065 Evan Penny Self Stretch
Evan Penny : Self Stretch

Les œuvres d’Evan Penny sont connues pour leur perfection épidermique à l’exactitude presque exagérée. Celle-ci ne déroge pas à cette notion.

Autres déformations, celles que le même Evan Penny fait subir à un visage féminin au départ ordinaire.

En cela, il témoigne de l’altération de l’identité induite, ou tout au moins intensifiée, par les progrès vertigineux de la vie moderne et de ses images.. Lorsque dans les années 1960 l’art emprunte un virage vers le réalisme et la culture populaire, le mouvement débridé et hétéroclite du Pop Art a initié une critique politique et sociale que l’hyperréalisme poursuit aujourd’hui.

Hyperrealisme-Paris-2023-076 - Evan Penny : Panagiota, Conversation #1, Variation 2
Evan Penny – Panagiota : Conversation #1, Variation 2

Dans cette veine, continuons notre visite, et saisissons l’éclosion d’un idéal féminin bien américain, avec la sculpture Chiquita Banana de Mel Ramos… Jailllissement équivoque… A l’instar des autres œuvres de cet artiste, satires des images banales de l’univers publicitaire, cette représentation transforme en accessoire publicitaire le corps érotisé d’une pin-up surgissant d’un produit bien commercial.

N’oublions pas, en considérant la marque Chiquita Banana, que celle-ci est une émanation de la United Fruit Company, symbole de l’impérialisme américain (l’UFC que l’on trouve à l’origine du concept de « république bananière »). L’ironie est ici double, du statut de la femme objet et de la domination américaine sur le sous continent sud américain. Démonstration que l’hyperréalisme peut être un instrument de dénonciation d’une société capitaliste scandaleuse, sans limites.

Hyperrealisme-Paris-2023-073 Mel Ramos : Chiquita Banana
Mel Ramos : Chiquita Banana

Faisons un pas de plus vers l’étrange pour nous intéresser au travail de Tony Mattelli, qui se caractérise par une transposition techniquement parfaite du réel, contredite par un positionnement, une posture qui intriguent, qui dérangent. L’hyperréalisme s’égare vers l’étrange en une contradiction savamment mise en scène.

Hyperrealisme-Paris-2023-083 Tony Matelli : Josh
Tony Matelli : Josh

Encore plus dérangeante est l’œuvre de Berlinde de Bruyckere exposée au Musée Maillol, Elie. La mort et la fugacité inéluctable de nos vies constituent une thématique centrale de son travail. Le corps blessé et torturé présente à la fois des zones clairement définies, exécutées avec une précision chirurgicale, conformément aux canons de l’hyperréalisme, mais aussi des zones qui se fondent dans le flou, l’abstraction. On pourrait y trouver une inspiration chrétienne, pour traiter ainsi de manière douloureuse de la vie, de l’espoir, de la souffrance et de la mort.

Hyperrealisme-Paris-2023-058 Berlinde de Bruyckere : Elie
Berlinde de Bruyckere : Elie

Je me suis senti mal à l’aise devant cette sculpture, qui a généré en mon esprit un sentiment d’angoisse. Pourquoi cet homme au sexe informe n’a-t-il pas de tête ? Pourquoi cette transparence de la peau, quasi-anatomique ? Et que signifient ces taches, sur ce support qui ressemble à un édredon ? Questions sans réponses…

La visite continue par un nouveau dérangement fort, dans cette pénultième section. Une sculpture doublement monstrueuse de Patricia Piccinini… Une créature à première vue humaine, qui lorsqu’on l’examine d’un peu moins loin ressemble à une mutation inquiétante et nous fait basculer dans la tératologie… Inquiétude devant cette hybridation accentuée encore par la présence dans les bras de cette « jeune femme » d’un rejeton phénoménal, difforme, aberrant et grotesque, dont on se demande s’il est adapté à la vie, qu’elle soit animale, humaine, extraordinaire.

Hyperrealisme-Paris-2023-071 Patricia Piccinini : The comforter
Patricia Piccinini : The comforter

Dernière section, Frontières mouvantes

Ouf…

Il faut un petit moment pour digérer tout cela avant d’attaquer la dernière section, disparate et que j’ai trouvé un peu superficielle. J’ai notamment été gêné par le son des installations, surtout celle de Glazer/Kunz, qui relèvent plus de la prouesse multimédia que de l’inspiration artistique. Avis très personnel, bien sûr.

Aussi je terminerai cette visite consacrée à l’hyperréalisme par une œuvre plus tranquille, dont l’aspect bien humain rassure et conforte. Dernière étape avant de retrouver le bon air bien frais et les particules fines des rues de Paris….

Hyperrealisme-Paris-2023-081- Ann O'Neem : Persona
Ann O’Neem : Persona

Je suis plus intéressé par le classicisme en matière artistique. Mais cette fois j’ai pris une vraie claque et suis ressorti à la fois troublé et enthousiasmé de cette exposition, qui j’espère voyagera de nouveau en France ou ailleurs en Europe.