La ville devient hostile aux piétons. Comme à Grenoble, où nous avons l’impression quand nous nous déplaçons pedibus cum jambis de n’être que tolérés sur les trottoirs. Car les « nouvelles mobilités urbaines » ont envahi l’espace.
Encouragés par la politique locale, les vélos frôlent les piétons même lorsque ils disposent d’une piste cyclable sur la chaussée, les trottinettes effraient avec un malin plaisir les non motorisés en surgissant comme des obus sur le côté, derrière vous, sans prévenir.
Il y a aussi les skateboards électriques, les gyropodes… et autres engins d’individualisation des déplacements qui revendiquent le droit de vous bousculer sur les passages cloutés quand vous traversez sagement. Qui vous font un doigt d’honneur quand vous manifestez votre agacement.
A Grenoble, inutile de se réfugier dans les rues piétonnes du centre ville, fièrement estampillées « Réservées aux piétons ». Effet d’annonce qui n’empêche ni les Uber lancés à toute vitesse de revendiquer la priorité au titre de leur statut de travailleurs (tristement précaires, nous pouvons les plaindre), ni les autres engins (pour les ringards comme moi, les EDPM : engins de déplacement personnel motorisés) de se faufiler dangereusement malgré la densité des obstacles humains qu’ils négocient avec mépris.
Quel stress ! Avoir réduit l’empreinte de la voiture dans la ville pour mieux en chasser ceux qui marchent à pied n’est pas digne d’un maire qui se revendique écolo. C’est pourtant la réalité de la capitale des Alpes…
Ce n’est pas nécessairement le cas ailleurs !
La marche à pied est pourtant la première des mobilités urbaines
Partons d’un constat : tout cyclopodiste, tout monorouleur, tout cycliste, tout trottinettiste, tout surfeur devra à un moment ou à un autre descendre de son engin pour rejoindre le méprisé commun des mortels. Il serait donc logique que les marcheurs soient correctement traités…
Allons voir du côté de Montréal comment font nos cousins nord-américains…
Étonnement en observant les passages cloutés locaux.
Car ici pas de stress… Les piétons traversent sans crainte lorsque le petit bonhomme vert s’allume. Sans se faire bousculer ou insulter par des cyclistes auxquels (c’est du moins ce qu’ils pensent) le panneau M12 donne tous les droits. Sans avoir l’impression d’être les quilles d’un slalom urbain, spécialité des trottinettes lâchées dans l’arène, superbement montées par des gladiateurs modernes. Splendides combattants aux casques supra auriculaires adaptés à la guérilla urbaine en les rendant insensibles au monde qui les entoure.
Montréal choisit d’être une vraie métropole apaisée
Alors, quand le paysage urbain s’organise différemment, quand les utilisateurs des mobilités urbaines alternatives respectent le code de la route, les marcheurs et les handicapés en fauteuil, les pousseurs de poussettes, quel bonheur ! On est loin de l’auto-satisfaction du Maire de Grenoble, fièrement proclamée aux portes de la ville sur des panneaux monumentaux… La vitesse des voitures y serait (!) limitée à 30 km/h, quand les EDPM cités plus haut dépassent fréquemment les 45 km/h : cherchez l’erreur.
C’est ainsi que nous avons apprécié notre séjour à Montréal, fin 2022. Et parcouru la ville de long en large paisiblement, sereinement. Sans trottinettes !!! Sans sauvagerie, mais est-ce pour longtemps ? Il semble en tout cas que les édiles québecois ne cherchent pas à flatter l’arrogance des adeptes des nouvelles mobilités urbaines, mais tout bonnement à garder la ville vivable pour les gens paisibles et les moins jeunes. Et agissent en la matière avec prudence et respect des intérêts de chacun, refusant de livrer la ville aux sociétés commerciales qui font leur nanan de cet engouement pour ces nouvelles mobilités urbaines.
Un exemple d’aménagement rassurant, sur cette image : les voitures d’un côté de la chaussée, les vélos de l’autre. Et des trottoirs bien larges pour les piétons. Que demander d’autre pour le peuple des marcheurs ? Rien…
Par ailleurs, il n’y a pas de regret à avoir de ne pas visiter cette métropole en voiture, car même si la conduite automobile y est bien calme, les rues bien perpendiculaires, l’excès de signalisation lumineuse ou graphique ne rend pas les trajets urbains bien confortables pour les touristes que nous étions.
Et puis, il y a un autre aspect à considérer. La tolérance des utilisateurs des différents modes de déplacement est aussi liée à une philosophie de la sérénité exprimée par la municipalité.
Loin de la recherche d’adrénaline de nos villes françaises en jouant les bolides dans les rues, ici on fait l’éloge de la lenteur, et on ose l’écrire en un langage accessible à tous, jeunes et moins jeunes, avec même un peu d’humour !
Le vélo fait partie des mobilités urbaines
Aller lentement permet aussi de découvrir la ville et ses sourires, ses curiosités. Comme ici cette promesse de savourer salement une poutine… Après l’effort cycliste, le réconfort gustatif. Nul doute que les ukrainiens apprécieraient !
Maintenant, on trouve aussi dans la ville suffisamment d’espaces verts, de voies aménagées pour un entraînement plus intense. Et toujours avec le sourire !
Dans Montréal, pourtant une ville moderne comme Grenoble, on ne trouve pas toute la panoplie des nouvelles mobilités urbaines. Mais on y dispose heureusement de moyens de déplacement collectifs et traditionnels. Bus, métro… les transports en commun rendent bien des services. Pour le vérifier, descendons sous terre pour un trajet vers l’animation du centre.
Un avantage de ce mode de transport : on n’a pas les mains occupées par la tenue du guidon, ni les jambes mobilisées par l’effort musculaire. Alors profitons de ce moment de repos pour reprendre des forces !
Nous y sommes. Le parcours n’a pas duré très longtemps, et le tube nous a évité de recevoir l’averse dont on profité ceux du dessus.
La chaussée luisante rend la ville un peu sombre, un peu triste. On distingue moins bien les détails, la vue est un peu brouillée. Alors pour bien se faire voir des automobilistes et éviter tout accident, il convient d’adopter une tenue flashy, ne serait-ce que par ses chaussures ! Jogger en cette tenue appartient aussi aux nouvelles mobilités urbaines ?
Se faire voir (non, non pas aller se faire voir, mais être vu) est parfois aussi une nécessité. C’est le cas des services de secours, qui ajoutent aux couleurs et aux gyrophares le bruit de leurs sirènes.
Un vrai spectacle de son et lumière, parfois, comme ici lors d’une intervention de nuit dans la résidence dans laquelle nous logions. Il ne s’agissait pas d’un exercice… Voici qui a donné du piment à notre voyage (fort heureusement, cela tenait plus du piment doux que de la langue d’oiseau, pas de dommages).
Des nouvelles mobilités urbaines collectives, cela existe
Passons maintenant à des déplacements plus doux et conviviaux, cette fois dans le registre croisé des nouvelles mobilités urbaines et des transports en commun. Admirons ce splendide véhicule (non motorisé et non polluant, aux intérêts commerciaux donc limités !) qui parcourt à un train de sénateur les trottoirs du boulevard Saint Laurent.
La tranquillité des passagers fait plaisir à voir ! Espérons que dans une quinzaine d’années ils sauront ne pas ensauvager les espaces de circulation urbaine montréalais en utilisant de nouvelles nouvelles mobilités urbaines (car il en reste sans doute encore à inventer, au delà des actuelles) !
La ville recèle aussi d’autres surprises. Montréal est une ville bâtie sur le fleuve et en voyant cet équipage, je me suis demandé si le propriétaire n’envisageait pas de traverser l’onde pour rejoindre le continent en renversant son ensemble et naviguer à la pagaie d’une rive à l’autre.
Ou plutôt, il est probable que profitant de l’été indien, il se prépare à partir dans les Laurentides, pour passer un peu de temps dans un paysage arboré bien plus vaste et varié que celui de Montréal…
Les couleurs y sont encore plus belles, l’horizon plus lumineux. C’est une destination favorite pour une escapade du week-end. Mais on quitte là le domaine des mobilités urbaines.
Serait-ce la proximité avec la nature qui rend les Montréalais si paisibles ? Nous le saurons, peut-être, à leur retour…