Hyperréalisme, chapitre 1

« Ceci n’est pas un corps »

Ce billet est la restitution d’une visite au Musée Maillol à Paris, lors de l’exposition Hyperréalisme, ceci n’est pas un corps, présentée de septembre 2022 à mars 2023 après une première installation à Lyon.

D’une manière générale, je m’intéresse à l’art, et aime beaucoup parcourir des musées, visiter des expositions. Cette fois, c’est d’art contemporain qu’il s’agit.

L’hyperréalisme est un courant artistique apparu dans les années 1960 aux États-Unis et dont les techniques sont explorées depuis lors par de nombreux artistes.

En utilisant des matériaux modernes autant que des techniques traditionnelles -telles que le modelage, le moulage et l’application polychrome de peinture à la surface des sculptures-, l’hyperréalisme crée des œuvres surprenantes, souvent malséantes, malaisantes, dérangeantes…

Hyperréalisme Paris 2023 - Jamie Salmon : Lily
Jamie Salmon – Lily (détail)

Hyperréalisme : une démarche pleine de sens

Réalité, art ou copie ? Les artistes cherchent à atteindre une représentation si minutieuse des corps que leur apparence plus vraie que nature nous transporte à la frontière du réel. Ils imitent les formes, les contours et les textures du corps humain afin d’en offrir une illusion parfaite.

Mais en y injectant une dimension inquiétante : la représentation esthétique habituellement valorisante est mise à mal par une attention aux détails qui renvoie avec cruauté à nos défauts corporels, à notre déchéance par le vieillissement, à notre impuissance, à notre superficialité, comme celle des nageuses de Carole A. Feuerman. « Beauty is only skin deep »… et la perfection du corps questionne la possible (?) vacuité de la personne là où certains vient au contraire « une parfaite harmonie intérieure » (in Le guide du visiteur 2023).

Hyperrealisme-Carole A. Feuerman : Catalina
Catalina, sculpture de Carol A. Feuerman

Imaginons… et injectons dans ces sculptures de l’IA (de l’intelligence artificielle) comme on injecte du botox pour masquer les vides de la peau, ici le vide de l’esprit. Rendons vivantes ces images parfaites et lacunaires. Faisons les s’exprimer, nous donner leur point de vue sur notre monde. Nous glissons alors dans une spirale cauchemardesque qui pourrait nous faire douter de l’intérêt pour le commun des mortels à vivre dans un monde totalement déshumanisé, . C’est en ce sens que je fais un lien entre Chat GPT et les œuvres qui sont présentées ici et qui m’ont si fortement impressionné.

Une exposition en 6 sections

Le commissariat de l’exposition l’a organisée en six sections, toutes traitant de l’hyperréalisme mais n’ayant pas à mes yeux la même importance. Je vous en présente ici plusieurs, dont j’ai retenu quelques œuvres en fonction de l’émotion (et des questionnements) qu’elles ont provoqué chez moi.

J’ai écarté la première, Répliques humaines, que j’ai jugées comme étant une reproduction de la réalité, comme un splendide travail technique mais sans éveiller autre chose que de l’admiration pour le travail de l’auteur. En ce qui me concerne, cette exposition sur l’hyperréalisme commence à le seconde section, Monochrome

Monochrome

Un peu disparate, j’ai trouvé dans cette partie de l’exposition des œuvres fortes, cela a été le début de mon intérêt pour l’hyperréalisme, et de mon enthousiasme pour cette exposition.

Je vous en présente quelques fractions, sous la forme de détails, car c’est dans ceux-ci que l’interrogation du visiteur est la plus prenante.

Ainsi, deux œuvres en bronze, matériau traditionnel de la sculpture artistique, et en bois m’ont paru s’éloigner dramatiquement des canons antiques ou modernes pour en fin de compte inciter le spectateur à inventer la mythologie qui donne du sens à chacune de ses œuvres, et qui leur est propre.

Hyperrealisme-Paris-2023-Brian Booth Craig : Executioner
Brian Booth Craig : Executioner (détail)

Cette sculpture de Brian Booth Craig, à taille réelle, attire le regard par l’attitude puissante et déterminée de son sujet. Le corps semble idéalisé, mais la facture n’en est pas lisse, et les traces de la fabrication permettent à l’observateur de prendre une certaine distance. Ce sont alors les détails qui intriguent, comme les deux fossettes du bas du dos, et la présence au bras gauche d’un serpent, au droit d’un oiseau. Que signifient-ils ?

Fabien Mérelle s’est lui mis en scène dans une représentation onirique d’un réalisme fantastique, à la jonction de l’art occidental et de la tradition orientale (sans doute issue d’un séjour d’études de quatre mois à Xi’An, en Chine).

Hyperrealisme-Paris-2023-028 - Fabien Mérelle : Merle faucon et tourterelle
Fabien Mérelle – Merle, Mérelle, Faucon et Tourterelle

Morceaux de corps

De cette section de l’exposition, deux artistes m’ont semblé mériter une attention particulière. La première, déjà citée plus haut, est Carole A. Feuerman, avec une seconde œuvre sur la même thématique, le thème de l’eau.

Hyperrealisme-Paris-2023-022 - Carole A. Feuerman : General Twins
Carole A. Feuerman – General’s Twin

Les pièces textiles mettent en évidence la finesse des détails, et notamment l’aspect translucide des gouttes d’eau perlant sur le buste de la nageuse. Une question demeure : que signifient cette pose, cette volonté de ne montrer qu’un fragment de personne, peu compatible avec la notion d’hyperréalisme ?

Une autre question surgit, à propose de cette œuvre de Peter Land, dans laquelle il se met en scène de manière peu flatteuse : où est la part d’humour, où est la part de commisération ?

Hyperrealisme-Paris-2023-005 - Peter Land : Back to Square One
Peter Land – Back to Square One

Jeux de taille

Un autre volet de l’hyperréalisme, qui ouvre de nouveaux horizons : la démesure… Tant dans le sens monumental, que dans la réduction minimaliste. C’est dans la première dimension citée que se sont formés mes étonnements…

Zharko Basheski – Ordinary Man

D’abord avec Zharko Basheski, qui a fait le choix de réaliser cette sculpture sur-dimensionnée, qui lui confère une apparence imprenable, mais de manière paradoxale lui donne un air vulnérable, hésitant et rongé par le doute…

Ensuite, en contemplant l’œuvre de Valter Adam Casotto, Stringiamoci a coorte, qui nous renvoie à notre petitesse et à notre déchéance humaine, le vieillissement… La religion, et ses croyances de résurrection, sera-t-elle notre salut ?

Valter Adam Casotto : Stirngiamoci a coorte
Valter Adam Casotto – Stringiamoci a coorte

Cette même déchéance, en tout cas cette évolution vécue comme telle par beaucoup, une fois traitée par le prisme de l’hyperréalisme m’a ému en contemplant ce couple, uni jusque dans celle-ci :

Hyperrealisme-Paris-2023-054 - Marc Sijan : Embrace
Marc Sijan – Embrace

Dans le cas de cette œuvre, à taille réelle, ce n’est pas la nuit qui tombe, mais la fierté, la dignité, l’amour qui émanent de ce couple enlacé.

Il y a du sens et de l’humanité dans l’hyperréalisme !

A suivre…

Le regard que je vous présente sur cette exposition consacrée à l’hyperréalisme n’a pas vocation à être exhaustif, certes. Mais la richesse de cet événement, qui m’a un peu secoué, est telle qu’un second chapitre me semble nécessaire. Alors, à bientôt !